« Pourquoi est-ce que tu ne me dis jamais rien sur tes voyages Voltaire? J’ai envie de savoir. Savoir ce que tu as parcouru, ce que tu as vu. » Vous étiez allongés dans l’herbe de son jardin. Du haut de vos dix-huit ans, dans cette petite ville du Canada, Campbell River, vous regardiez le ciel d’un bleu azur. Le printemps. La brise était fraiche mais il était tellement bon de pouvoir se tenir là, que vous n’y faisiez pas attention. Tu sens le regard de la jeune femme se tourner vers toi, tu te contentes de fixer un point lointain au-dessus de toi.
« Ne m’appelles pas comme ça. » Elle soupira, se relevant en position assise. Tu finis enfin par détourner les yeux vers elle, des taches blanches apparaissant dans ton champ de vision à force de fixer ce ciel lumineux.
« Pourquoi est-ce que je ne sais rien de toi? » Tu soupiras à ton tour, las.
« Je n’ai rien à te raconter à propos de tout cela Birdy. » Elle n’avait jamais eu l’occasion de voyager. Elle voulait connaitre d’autres pays, d’autres coutumes. Elle voulait s’enfuir. Elle ne le pouvait pas. Elle t’enviait dans un sens. Toi, tu aurais bien troqué ta vie contre la sienne finalement. Tu étais indépendant, peut-être trop.
« Alors quoi, on ne se connait pas depuis assez longtemps c’est ça ? Mais qu'est-ce qu'il te faut, merde! » Tu te relèves à ton tour, lentement, avec cette éternelle lassitude.
« Arrêtes ça je te dis. » Elle semblait s’énerver. Cela faisait trois mois que tu étais ici. Tu l’avais rencontré alors qu’elle travaillait comme serveuse au bar du coin pour se payer ses études et aider ses parents. Elle était peut-être la première personne depuis longtemps que tu arrivais à tolérer de la sorte, à trainer autant avec elle. Tu en connaissais bien plus sur elle qu’elle n’en savait sur toi. C'est-à-dire rien, en y réfléchissant.
« Arrêter quoi ? Tu te fous de moi depuis le début Floyd. Je suis quoi, une distraction de plus ? Quelqu’un pour t’aider à ne pas t’ennuyer ? Je dois même pas être la première à te le dire. Tu n’en as rien à faire de toute façon. De moi. De tout. Alors s’il y a bien une personne qui doit arrêter comme tu dis, c’est toi. » Elle s’était levée, te dominait de toute sa hauteur. Tu la fixes de ce regard empli de nonchalance. Ce détachement perpétuel chez toi. Oui elle n’était pas la première à te le dire. Tu ne relèves rien cependant, tu la laisses parler. Tu n’étais pas fan des beaux et longs discours. Les femmes étaient pour toi toutes pareilles, finalement. Toujours à vouloir se justifier. Tu venais passer un moment agréable et vous en reveniez toujours au même point. A croire qu’elle était vraiment attachée à toi. Elle te lance des éclairs et le silence tombe entre vous. Elle soupire avec rage et sans un mot de plus, te dépasse pour rentrer chez elle. Tu es seul, tu te rallonges et fermes les yeux. Elle revenait toujours.
[...]
Tu es resté à Campbell River plus longtemps que prévu. A vrai dire, tu te fichais bien de ce que tes parents pouvaient bien y faire. La seule chose dont tu te préoccupais était de savoir que tu étais là un peu plus longtemps. Tu finis par t’attacher à elle.
Birdy. Tu ne lui as jamais réellement montré, tu n'as jamais vraiment cru d'ailleurs qu'elle pourrait te manquer un jour, mais au fond, tu le sentais. Tu continuais de te comporter comme tu l’as toujours fait avec elle. Comme si parfois tu t'en fichais. Votre relation était compliquée. Des hauts, des bas. Toujours à propos de toi, de ton comportement. De ton je-m’en-foutisme perpétuel. Néanmoins, si elle l'avait su, elle aurait bien pu se vanter d’être une des rares personnes que tu arrivais à fréquenter souvent, même si tu ne te comportais pas comme elle l’aurait sûrement voulu. Elle arrivait à te faire sourire. Parfois. Et dieu sait que c’était compliqué. Elle ne se rendait pas compte vraiment de son emprise sur toi. Toi non plus d’ailleurs. Tu ne le voulais pas. Elle ne t’avait pas connu suffisamment mais peu importait. Cette jeune femme se battait chaque jour contre ce qu’elle ressentait à ton égard. Pour le con que tu étais.
Floyd. C’était-elle-même qui t’avait donné ce surnom, sans but précis, sans savoir d’où ça venait réellement. Elle aimait bien, et c’était finalement resté entre vous, puis avec d’autres. Tu ne voulais plus que l’on t’appelle Voltaire. Tu en étais venu à détester cet auteur alors que tu ne savais que les grandes lignes de sa vie. Le détester pour avoir fait de tes parents ce qu’ils étaient. Une profonde aversion pour cette grande littérature qui t’avait finalement enlevé tes parents. En quelque sorte. Floyd, c’était différent, loin de tout ça. C’était un peu elle, aussi. Birdy. Tu n’avouais rien en ce qui la concernait. Tu ne voulais même pas te dire que tu te sentais bien, moins perdu en sa compagnie. Elle ne savait rien. Elle se contentait d’être parfois douce et ouverte avec toi, parfois énervée, en colère. Parce qu’elle ne voulait pas te montrer sa faiblesse. Que son point faible, c'était toi. Tu ne savais rien. Elle, elle le savait que trop bien. Elle se démenait pour ne pas éprouver de sentiments, cependant, c’était bien trop difficile. Elle savait qu’elle allait souffrir alors elle se taisait et peut-être était-ce bien mieux pour elle. Au fond, ce n'était pas possible.
[...]
Elle partit avant toi. Définitivement. Vous aviez vingt ans. Pour la première fois tu compris ce qu’était le vide que l’on pouvait ressentir. Du jour au lendemain elle partit pour une autre ville. Personne ne t’avait prévenu. Elle, elle avait planifié ce départ depuis des semaines, sans rien te dire, sans rien laisser paraitre. Deux ans que vous vous connaissiez, et un matin, elle n’était plus là. Aucune explication. Peut-être n’en méritais-tu pas une, au fond. Tu avais été un con. Elle n’était peut-être pas même partie à cause de toi. Tu ne savais pas. Tu frappais dans tout ce qui passait à ta portée. Tu ne voyais presque plus tes parents et pourtant, vous viviez encore sous le même toit. Tu ne voulais pas croire qu’elle te manquait. Tu ne voulais pas sentir que tu t’étais attaché. Alors tu tentais par tous les moyens de ranger cette fille dans un coin de ton esprit, comme tu l’avais fait sans difficultés pour toutes ces autres personnes que tu avais croisées sur ton chemin. Reprendre cette vie, ce cœur de pierre que tu t’étais forgé sans réellement le vouloir. T’as toujours été perdu. Tu l’étais encore plus, aussi étrange que cela puisse paraitre. Tu ne voulais pas avoir de mal à l’oublier. Tu voulais continuer ta vie comme tu l’avais toujours fait. Tu essayas, peut-être plus difficilement.
Mais du jour au lendemain, tu étais de nouveau seul.
—— ͼҨͽ ——
FLASHBACK
quelques semaines plus tôt
« Qu’est-ce que tu fous ? » Birdy, les yeux rivés sur son portable, ne t’avait pas entendu arriver. Elle paraissait si concentrée, comme si sa vie dépendait de ce qui était inscrit sur cet écran. Tu fronçais les sourcils, les mains enfoncées dans tes poches.
« Rien, laisse tomber. » Elle rangea rapidement l’appareil dans son sac à ses côtés. Tu restais un moment silencieux, elle paraissait troublée. Différente. Presque perdue pendant un instant, le regard vague.
« Qu’est-ce que t’as ? » Elle se leva subitement, nerveuse.
« Mais rien ! » Tu haussais les épaules, ne te décidant pas à en savoir plus. Tu n’avais jamais été le genre de garçon à poser trop de questions.
« Faut que j’y aille. » Elle ne prit pas même le temps de te lancer un regard qu’elle te poussa dehors avec elle et qu’elle partit dans la direction opposée, après avoir fermée la porte à clé. L’enchainement des évènements te laissa stoïque pendant quelques longues secondes avant que tu ne repartes toi aussi, seul, sans but précis, sans t'attendre à quoi que ce soit.
Ce que tu ne savais pas, c’était ce qu’avait affiché ce portable, le message qu’elle venait de recevoir. Le début peut-être de tout. Ce qui l’avait poussé à partir de Campbell River, en quelque sorte. Ce test. Vos deux noms côte à côte et ce chiffre. 97%. Elle avait eu peur. Comme si les sentiments qu’elle éprouvait, qu’elle refoulait de tout son être lui parvenaient en plein visage avec violence. Comme si tout devenait plus réel. Elle souffrait à cause de toi depuis moins de deux ans. Elle se forçait à ne pas penser à vous. A cette possibilité moindre, quasi inexistante que vous soyez un jour ensemble. Elle ne voulait pas le ressentir cependant, c’était bel et bien réel chez elle. Comme si la réalité prenait enfin le dessus. Partir était la seule solution. Avant que tu ne le fasses. Mettre un terme à tout ça. Oui, la seule et unique solution qu’elle trouva. Elle n’avait pas assez pour quitter le pays, mais fuir la ville était déjà un bon moyen pour oublier. Elle faisait tout ça à cause de toi, et tu ne savais rien. Tu ne voyais rien. Il n’y avait pas de mot pour dire ce que tu étais.
Idiot.